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Melchiade Biremba : « On ne peut pas défendre la démocratie avec des belles paroles »

 Melchiade Biremba se présente comme le chef d’état-major de Red-Tabara, un des groupes armés qui se battent contre le régime de Pierre Nkurunziza. Il a répondu aux questions que Jeune Afrique lui a posées par téléphone mardi.

 

 


Des policiers et des soldats gardent une rue de Bujumbura.

 


Red-Tabara, l’un des groupes armés qui se battent contre le régime de Pierre Nkurunziza, est actif depuis plusieurs semaines dans la capitale, Bujumbura, où les attaques à la grenade sont désormais quasi quotidiennes et très souvent mortelles. Ce mouvement, qui a pour emblème une colombe et pour couleurs celles du Burundi, a notamment revendiqué plusieurs opérations contre des éléments des forces de l’ordre ou des Imbonerakure. Mais l’identité de son chef a longtemps été gardée secrète.

À 39 ans, Melchiade Biremba se présente depuis le 12 février comme le chef d’état-major de Red-Tabara et prétend au grade de Général-Major même s’il n’a suivi aucun apprentissage militaire autre que celui du terrain. Pour la première fois depuis que son nom a été rendu public, cet ancien étudiant en droit originaire de la province de Cankuzo (est du Burundi) explique pourquoi il a pris les armes.

Jeune Afrique : Lors de son entretien avec le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, le 23 février, Pierre Nkurunziza s’est engagé à dialoguer avec l’opposition. Y croyez-vous ?
Melchiade Biremba : Je n’y crois pas. Nkurunziza n’est pas de bonne foi. Il dit cela pour l’opinion internationale.

D’autres mesures ont été annoncées avant les visites de Ban Ki-moon le 23 février et de plusieurs chefs d’État africains le 25 février : la libération de 2 000 détenus, la levée de mandats d’arrêt internationaux contre des opposants… Ces mesures ne sont-elles pas susceptibles de vous faire changer de stratégie ?
Nous avons décidé de prendre les armes sans tenir compte des visites des Nations unies ou des chefs d’État africains, parce que nous sommes convaincus que le départ de Nkurunziza ne pourra pas être obtenu par la négociation. Quand notre objectif sera atteint, nous déposerons les armes. Mais ce n’est pas conditionné par ces visites-là.

Quel est votre objectif ?
Il faut tout d’abord rappeler que les mobiles qui nous ont poussés à prendre les armes sont les mêmes que ceux qui avaient poussé Nkurunziza lui-même à entrer en rébellion en 1994 : absence de démocratie et de justice, pas d’État de droit…

Le droit à la vie est devenu aléatoire, on ne peut pas l’accepter. La liberté d’expression est devenue un vain mot. Il y a une misère exagérée de la population, liée à la mauvaise gouvernance de Nkurunziza. Quand il est arrivé au pouvoir, tous les Burundais mangeaient trois fois par jour, mais aujourd’hui, ils mangent une fois par jour. Notre objectif est de chasser Nkurunziza et sa clique.

Après son départ, nous mettrons en place un gouvernement de transition qui réorganisera le pays, et notamment les corps de défense et de sécurité, qui désarmera la milice Imbonerakure, et qui organisera des élections, crédibles, libres, transparentes et démocratiques.

C’est aussi ce que prône le Conseil national pour le respect de l’accord d’Arusha et la restauration d’un État de droit au Burundi (Cnared), une plateforme de partis d’opposition…
Oui, nous avons les mêmes objectifs. Mais les voies et moyens que nous empruntons sont différents.

Avez-vous des liens avec des partis politiques ?
Non. Certains d’entre nous ont été membres de partis politiques. Moi-même, j’ai mon parti d’origine (le Mouvement pour la solidarité et le développement, MSD), mais je n’en suis plus membre. Nous ne partageons pas leurs plans. Nous avons décidé de passer par la lutte armée comme Nkurunziza à l’époque : il n’avait pas demandé l’autorisation de son parti pour prendre le maquis. On ne peut pas défendre la démocratie avec des belles paroles.

Red-Tabara n’est donc pas la branche armée du MSD ?
Non, non, non. Il n’y a pas de liens.

Plusieurs attaques à la grenade ont été lancées ces dernières semaines à Bujumbura, et notamment dans la nuit du 22 au 23 février. Elles ont fait plusieurs morts. En êtes-vous les auteurs ?
Il faut nuancer. Il y a des attaques contre les forces de l’ordre et des attaques contre les populations civiles. Nous, à Red-Tabara, nous nous battons pour un État de droit. Nous n’attaquons donc jamais les civils innocents. Nos cibles sont les escadrons de la mort de Nkurunziza : la police, la milice des Imbonerakure et les militaires. Ce sont les commandos de Nkurunziza qui attaquent les populations civiles, dans le but de disqualifier notre lutte et de terroriser la population.

Comment faites-vous en sorte de ne pas toucher de civils ?
Nous prenons un grand soin dans l’identification des cibles.

Quelle est votre stratégie à plus ou moins long terme ?
Je ne vais pas dévoiler les secrets de nos modes opérationnels et de notre stratégie.

D’où viennent vos armes ?
Nous les achetons sur le marché noir.

Le pouvoir vous qualifie de « terroristes »…
Nous ne sommes pas des terroristes. Les terroristes, ce sont les complices de Nkurunziza. Nous, nous sommes là pour défendre l’État de droit.

Depuis quand opérez-vous ?
Nous avons commencé à nous organiser en 2010 quand Nkurunziza a volé les élections. Depuis cette époque, nous sommes arrivés au constat que l’alternance ne passerait ni par des élections ni par des négociations. Nous sommes actifs depuis « le coup d’État constitutionnel » qui a permis à Nkurunziza d’effectuer un troisième mandat en juillet 2015.

De combien de combattants disposez-vous ?
Je ne peux pas vous le dire.

Qui sont vos combattants : des policiers, des déserteurs de l’armée, des civils ?
Ils viennent de tous les côtés.

Hutus et Tutsis mélangés ?
Oui. La crise n’a rien à voir avec la question ethnique. C’est toute la population burundaise qui est opprimée par le pouvoir de Nkurunziza.

Votre groupe est particulièrement actif à Bujumbura. Avez-vous des bases à l’extérieur du pays ?
Nous faisons la guerre au Burundi, nos intérêts sont au Burundi. Il n’y a aucune raison que nos hommes soient basés à l’extérieur. Nous avons des positions un peu partout dans le pays.

Quels sont vos rapports avec les autres groupes rebelles : le Forebu, les FNL ?
Nous avons tous le même ennemi, c’est ce qui nous unit. Après, chacun a sa propre stratégie militaire.

Êtes-vous en concurrence ?
Non.

Avez-vous l’ambition de devenir, à terme, un parti politique ?
Ce n’est pas notre objectif. Ce que nous voulons, c’est offrir aux partis politiques un espace démocratique. S’il m’arrivait de penser à faire de la politique, je démissionnerais de mes fonctions militaires. Si le Burundi est dans cette situation, c’est justement parce que les militaires ont toujours voulu faire de la politique.

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