Afrique


La lente revanche des poupées noires


Face au manque de jouets à l’effigie de noirs, des parents d’Afrique, des États-Unis et d’Europe se mettent à la fabrication de poupées à l’image de leurs enfants. Leur combat pour plus de diversité dans les coffres à jouets gagne progressivement du terrain.

 

 

 


«Toutes les poupées de ma fille étaient blanches. Au point qu’un jour elle m’a demandé de quelle couleur elle était. Quand je lui ai répondu qu’elle était noire, elle m’a rétorqué: “J’aime le blanc.”» Quelques mois après cet échange troublant, Taofick Okoya créait Queen of Africa, une marque de poupées noires. Des personnages à l’image des femmes nigérianes, habillés et décorés sur le modèle de trois ethnies du pays. Aujourd’hui, son entreprise possède au Nigeria davantage de parts de marché que Mattel et sa sacro-sainte poupée Barbie. Un succès inattendu, relayé à l’envi par la presse nationale et mondiale.

Est-il encore utile de rappeler l’importance des poupées noires ou métisses dans la construction intellectuelle des plus jeunes? Qu’ils vivent ou non dans une société majoritairement noire, les enfants sont soumis à un modèle occidental qui valorise trop souvent uniquement la beauté blanche. Les tests des «Black and White dolls» pensés par le couple Clark (et maintes fois reproduits) ont montré qu’à 4 ans les enfants sont déjà perméables au modèle de beauté que la société leur impose. La poupée que les enfants noirs désignent comme celle qui leur ressemble physiquement est aussi désignée comme la méchante, la sale, celle qui fait des bêtises et désobéit aux parents.

Cette intégration des stéréotypes raciaux pèse sur leur estime personnelle parfois toute leur vie. C’est là tout l’enjeu des poupées noires: immiscer une diversité nécessaire dans les coffres à jouets et créer une fierté ethnique capable de contrer un modèle social défavorable.

Diffusion anecdotique
Le succès des jouets ethniques est donc une bonne nouvelle. Pourtant, les poupées noires restent, en Afrique comme ailleurs, un épiphénomène. Le créateur de Queen of Africa en a lui-même fait les frais:

«Au Nigeria, nous n’avons pas été acceptés dès le début. Nous avons promu nos produits pendant deux ans avant que les ventes ne décollent vraiment.»

Un coût qui freine les initiatives individuelles dans un contexte où les grandes marques s’intéressent peu à la demande de poupées ethniques. Taofick Okoya affirme recevoir régulièrement des commandes d’Europe (via Internet) et des États-Unis (via son représentant local). Mais se refuse à chiffrer ses exportations.

Sur le modèle de l’entreprise nigériane, ce sont souvent des parents, désemparés face à des rayonnages entiers de jouets blancs, qui créent ces jouets. En France comme aux États-Unis, les initiatives se multiplient. Parmi elles, Rosine Mondor rachète de rares poupées métisses afin de les rendre plus réalistes:

«Les yeux sont presque toujours verts, d’un vert presque fluo. Je redessine des yeux marron, plus naturels, précise la créatrice de Poupées des Tropiques, consciente des enjeux autour de ces jouets. Il faut aussi crêper des chevelures systématiquement lisses. Je tresse sur des tiges, laisse tremper dans l’eau chaude et défais les tresses. C’est très simple!»

Cette Guadeloupéenne vit en Métropole et multiplie les stands sur les salons de jouets. Pour autant, son association n’écoule que quelques dizaines de pièces chaque année. Même volume de ventes chez Okéïstyle, une petite structure qui achète des poupées en Martinique et les habille de tissu africain traditionnel. L’entreprise exporte en France et dans quelques pays d’Afrique.

Rôle des parents
Malgré des productions limitées, ces petits sites spécialisés ont le mérite d’exister. Malheureusement, ils ne s’adressent qu’aux parents conscients du rôle des jouets noirs. Or les adultes sont souvent eux-mêmes soumis aux stéréotypes, selon Gnoulenenge Egbelou. Cette étudiante en droit a reçu des poupées à chaque anniversaire mais jamais de personnage d’origine africaine, malgré ses réclamations répétées:

«Les problèmes identitaires se transmettent de génération en génération explique-t-elle. Une mère qui a pour idéal esthétique les cheveux lisses et la peau claire n’achètera pas de poupée aux cheveux crépus à sa fille.»

Il s’agit du principal blocage à l’expansion de ces jouets. Mais la sensibilisation des parents s’échappe rarement du cadre de travaux universitaires. Là encore, seul Internet semble faire bouger les lignes, à l’image de l’émouvant témoignage de la blogueuse Danielle Ahanda. Pour cette mère, «l’invisibilité et l’excellence» choisies par ses parents a fait long feu. La diversité nationale ne peut plus se passer de l’estime de soi.

Au Nigeria, Taofick Okoya estime que le travail de sensibilisation des parents est déjà bien avancé. L’entrepreneur veut aller plus loin:

«Maintenant que nos produits sont acceptés, nous voudrions commencer à fabriquer des corps aux dimensions plus réalistes.»

Déjà entamé par d’autres entreprises, le travail du corps constitue une nouvelle étape pour que les jouets ne soient plus vecteurs de complexes.
Alexis Patri

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