Avec son compatriote Merhawi Kudus, Daniel Tekleaimanot sera le premier Noir africain à courir le Tour de France depuis sa création en 1903. Avec l’équipe sud-africaine MTN-Qhubeka, l’Érythréen de 26 ans va écrire une nouvelle page de l'histoire de la Grande Boucle. Des montagnes d’Érythrée aux 21 lacets de la montée mythique de l’Alpe d’Huez, Tekleaimanot a réalisé un parcours incroyable. Nous l’avons rencontré lors du Critérium du Dauphiné en juin.
Daniel Teklehaimanot (c) lors du Critérium du Dauphiné en juin 2015.
À Saint-Gervais dans les Alpes, en juin, il régnait comme un petit air de Tour
de France durant le Critérium du Dauphiné : caravanes sur le bas-côté et
cyclistes amateurs comme supporters… Sur la route, l’Erythréen Daniel
Teklehaimanot, certainement le coureur le moins connu du peloton, maillot de
meilleur grimpeur sur le dos, faisait le spectacle. Et au fil des jours, cet
homme venu de l'Est de l'Afrique est devenu l’attraction du Critérium du
Dauphiné.
À chaque fin d’étape, le public découvrait sur le podium protocolaire ce jeune
homme sec et élancé, venu d’un pays, l'Erythrée, que beaucoup de personnes ne
pourraient pas placer sur une carte, à commencer par son directeur sportif
belge, Jean-Pierre Heynderickx. Il a dû consulter une mappemonde à son arrivée
dans l'équipe. Lors de la prochaine Grande Boucle, ils seront sûrement nombreux
à chercher la capitale Asmara sur le globe.
Onze frères et sœurs et un père d'adoption !
C’est dans le hall d’un hôtel un peu chic de Grenoble que Daniel Teklehaimanot
nous a donné rendez-vous. « C’est un beau garçon », lance au passage une dame.
Déjà, le matin, deux femmes s'étaient esclaffées : « Faut dire qu'il est pas
mal. On ne connaît pas son nom. Qui est-il ? » Sur les routes du Tour de France,
elles devraient être encore plus nombreuses à lui trouver du charme.
La vie de Daniel Teklehaimanot est un roman. Issu d’une famille modeste et
nombreuse, douze enfants, vivant dans les montagnes érythréennes, Daniel
Teklehaimanot réussit à sortir de sa condition grâce au cyclisme, sport numéro
un chez lui, et à ses qualités exceptionnelles. C'est le Français Michel Thèze,
ancien entraîneur de l’équipe sur route du Centre mondial du cyclisme en Suisse,
qui le découvre lors des championnats continentaux au Maroc en 2008. « À cette
époque-là, l’Érythrée, ça ne ma disait rien du tout. Je n’avais jamais entendu
parler ni de lui ni de ce pays. Il n’avait rien fait de spécial, mais je ne sais
pas pourquoi, il m’avait bien plu. Comme moi, il avait trois mots d’anglais à
son vocabulaire, mais ça suffisait pour se comprendre. Lui, était très
enthousiaste. J’ai réussi à convaincre sa fédération », raconte Michel Thèze qui
est depuis devenu son mentor.
Une opération cardiaque en Suisse
Daniel Teklehaimanot pose ses valises en Suisse en janvier 2009 sans
aucun problème de visa. Quelques mois plus tard, le président de la Fédération
érythréenne de cyclisme profite des Championnats du monde en Italie pour se
faire la belle. Depuis, les athlètes érythréens ont énormément de mal à sortir
de leur pays, dirigé d'une main de fer. Daniel Teklehaimanot a donc eu chaud.
Lors du Critérium du Dauphiné, Daniel Teklehaimanot et son futur mentor se sont
parlé tous les jours. Michel Thèze a décroché le premier contrat professionnel
de l'Erythréen et c’est encore lui qui a tout fait pour que le jeune homme se
fasse opérer du cœur juste après son arrivée en Suisse. Les médecins lui avaient
diagnostiqué un problème de tachycardie lors d’un test d’effort. « Il est comme
mon fils, j’ai tout mis en œuvre pour qu’il soit opéré. Ce n’était pas simple.
Il a même fallu trouver un interprète pour lui expliquer ce qu’il risquait ».
Sans Michel Thèze, qui connaît même sa famille en Érythrée, Daniel Teklehaimanot
ne ferait plus de vélo. « Je serai toujours reconnaissant envers le Centre
mondial du cyclisme et mon ami Michel Thèze, dit simplement Daniel
Teklehaimanot. En Suisse, j’ai appris à courir, à défendre un maillot et ils
m’ont aidé à trouver ma première équipe. Là-bas, j’ai gagné pas mal de courses
amateurs et j’ai aimé ces années d’apprentissage ». Il y a même obtenu la
nationalité suisse.
Daniel Teklehaimanot, meilleur grimpeur du
Critérium du Dauphinée 2015.
« Quand je vois son parcours, tous les problèmes que l’on a rencontrés, je suis
touché de le voir remporter le maillot de meilleur grimpeur sur le Critérium du
Dauphiné. Penser qu’il va faire le Tour de France, c’est presque un miracle. Il
y a eu tellement de moments où tout pouvait s’écrouler », s’enthousiasme Michel
Thèze. Comme le jour de 2010 où le jeune s’apprêtait à signer son premier
contrat professionnel et que l’équipe qui lui avait promis le Graal faisait
faillite… Michel Thèze ne le laisse pas tomber et le garde une année
supplémentaire au Centre mondial. « Pour les coureurs européens, devenir
professionnel, c'est une chose normale. Pour nous, c'est beaucoup plus de
pression », explique Daniel Teklehaimanot.
« Parfois, les rêves deviennent réalité »
Selon Michel Thèze, Daniel Teklehaimanot est un garçon « doué » et d’une
« grande franchise » mais il a des défauts. « Il n’est pas assez méchant sur un
vélo, avoue-t-il. Souvent, je me disais : « Est-ce qu’il va réussir ? » Parfois,
je ne le trouvais pas assez teigneux.Il peut être assez fataliste et il ne donne
pas l’impression d’être toujours à fond. C’est peut-être parce qu’il vient d’un
pays difficile. Mais c’est énervant... » Autre particularité de Teklehaimanot,
il déteste la pluie. Mais il va bel et bien courir le Tour de France, car dans
son for intérieur, il a toujours su qu’il réaliserait un jour son rêve. Et il le
réalise ! C’est incroyable.
« Il sera le premier représentant d’Afrique noire sur le Tour de France », avait
prédit il y a trois ans Jean-Claude Hérault, le directeur de la Tropicale Amissa
Bongo au Gabon. « Tout le monde veut faire le Tour de France, dit avec une
pointe de timidité l’Érythréen. Je suis excité. Penser au Tour de France, c’est
quelque chose de tellement spécial. Des fois, les rêves deviennent réalité.
Quand j’étais jeune, je regardais les étapes du Tour de France et j’adorais le
maillot à pois (de meilleur grimpeur, ndlr) plus que le Maillot Jaune (de leader
au classement général, ndlr). Je me disais : " Oh ! Ca a l’air génial ". Ça va
bientôt être à mon tour de me battre. Je suis heureux d’avoir réussi cela. Les
fans de cyclisme vont savoir où se trouve l’Érythrée. Faire le Tour, c'est
devenir un exemple pour son pays et son continent ».
« Tout le pays va me suivre et pas seulement ma famille »
Le poids de l’histoire semble tout de même difficile à porter pour
Teklehaimanot. « Oui, c’est un sacré truc de faire le Tour de France en tant que
premier Noir africain. J’ai une énorme pression sur les épaules ». Daniel
Teklehaimanot avait déjà été le premier Noir africain à participer au Tour
d’Espagne en 2012 et le premier à devenir professionnel dans l’équipe
australienne Orica GreenEdge. Cela fait beaucoup de premières fois. « Tout le
pays va me suivre et pas seulement ma famille », narre le jeune homme qui
restera toujours « Daniel » pour ses proches et pour tous. La grosse tête, ce
n’est pas son truc.
Des montagnes d’Érythrée aux cols du Tour de France, Daniel Teklehaimanot a vécu
l’exil pour réussir. Ce qui ne l’empêche pas d’être très attaché à sa famille.
Alors, il n’est pas rare qu’il trouve du réconfort auprès de ses deux
compatriotes et coéquipiers : Merhawi Kudus et Natnael Berhane. « On est plus
que des amis, on est des frères. On vit ensemble et on s’entraîne ensemble en
Italie. C’est parfois difficile d’être loin de son pays, alors, c’est bien
d’être avec eux ».
Propos recueillis par Farid Achache au Critérium du Dauphiné 2015